Bonus Trilogie E16 :
1ère scène bonus

Avertissement : cette page pourrait vous révéler un élément clé de l'intrigue...

À découvrir après avoir lu DÉLIVRANCE.

Un bonheur passionné ressemble à l’angoisse.
— Jean MORÉAS —

Tristan

Du nez, j’effleurai la peau délicate à la base de son oreille et je sentis quelque chose d’humide sur mon front. Je me redressai sur un coude pour la contempler. Ses mèches flamboyantes, indomptables, cascadaient en désordre sur son visage. Sa carnation laiteuse, son nez retroussé et ses pommettes joliment parsemées de ses taches de son adorables appelaient sans cesse mes baisers. Mais pour l’heure, des larmes roulaient sur ses joues.

Mon estomac se serra.

D’une main, j’enveloppai son visage et les capturai du pouce.

Je ne lui demandai pas la raison de ces larmes. Je la connaissais. 

— J’ai peur, chuchota-t-elle d’une voix étranglée.

Mes yeux me brûlaient et une larme m’échappa également. J’approchai mon front du sien et effleurai ses lèvres.

— Je sais. Je suis terrifié, moi aussi, lui confiai-je la gorge nouée.

Oui, terrifié. Mon cœur débordait à cet instant, mais une émotion très vivace me tenaillait. La peur qu’on me l’arrache, la crainte de la perdre, qu’elle disparaisse.

Je serrai fort les paupières pour réprimer le désir de l’enlacer plus fort, trop fort.

— Endors-toi, lui soufflai-je plutôt en la berçant avec une infinie tendresse.

Je dormis très peu cette nuit-là. Je passai des heures à savourer la sensation de son corps contre le mien. La douceur de ses cheveux dans mon cou, la courbe de ses fesses contre mon bassin, le rythme régulier de son cœur sous la paume de ma main.  

À plusieurs reprises, je dus contenir mon émotion et me retenir de la réveiller.

Au petit matin, une odeur alléchante de café nous parvint depuis le palier.

Hava dormait profondément, elle était épuisée et comme je peinais de plus en plus à me contenir, je m’écartai à regret de sa chaleur pour quitter le lit.

Je rejoignis le rez-de-chaussée et trouvai la cuisine sans difficulté.

Je découvris Jazz s’affairant près de… d’une cafetière me semblait-il. Il me fit face et me scanna en avalant une gorgée de sa boisson.

Pour une fois, je me pliai à son examen sans broncher. Je savais ce qu’il voyait.

Son sourcil levé m’informa d’abord qu’il avait noté la disparition de la colère qui me rongeait depuis si longtemps. Puis son expression s’assombrit, elle se fit plus compatissante, mais il m’adressa un sourire. Mon bonheur était visible, ainsi que la peur qui me nouait les tripes.

— Ça ne passe pas, me révéla-t-il. Jamais. On apprend seulement à vivre avec et crois-moi, ça vaut le coup.

Si cela valait le coup ?

Trop d’éléments demeuraient incertains dans cette histoire, la nuit dernière, la guerre frappait encore à notre porte… La profondeur de mes sentiments pour Hava et ma volonté de demeurer près d’elle étaient mes seules certitudes, mes seules vérités.

— Comment comptes-tu faire ? demanda-t-il soudain. N’es-tu pas engagé auprès du Conseil National ?

Un rictus m’échappa. Sans le vouloir, j’avais anticipé cette situation.

— Quand ils ont voulu monter leur armée, ils manquaient d’officiers. La plupart en avaient trop vu et préféraient se fixer. Ils connaissaient mes états de service… J’ai accepté de me plier à toutes leurs évaluations, à leurs formations débiles à une seule condition, pas d’engagement signé. Leur affaire était trop bancale pour que je m’enchaîne à eux. Je peux donc partir quand je veux.

— Et ils ont accepté ça ?

— Pendant deux ans, ils n’ont pas eu à s’en plaindre. Sans vouloir me vanter, j’ai même fait du bon boulot, j’ai mis un peu d’ordre dans leurs bêtises.

Jazz hocha la tête, songeur.

— Tiens, lança-t-il soudain en servant une tasse fumante. Elle aime le café. Elle mange aussi des fruits au petit déjeuner. Il y a des poires au sirop dans le réfrigérateur et n’oublie pas le verre de lait.

Je le remerciai d’un signe de tête et m’activai aussitôt.

— Dans le placard derrière toi, tu trouveras un plateau.

Je regagnai hâtivement l’étage. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine à l’idée de la retrouver, cependant, quand j’ouvris la porte, il manqua un battement.

Au milieu du lit, Hava était enveloppée dans les draps et tournait dans tous les sens d’un air égaré. Elle tremblait violemment et pleurait.

Je faillis jeter le plateau, mais eus finalement la clarté d’esprit de le poser sur la commode près de la fenêtre avant de me précipiter vers elle. J’agrippai son visage alors qu’elle se débattait, emportée dans un élan de panique. Je l’embrassai. Ses lèvres, son nez, ses paupières, son front.

— Tout va bien, lui murmurai-je la gorge serrée.

Comme elle ne se calmait pas, je trouvai sa main et la portai à ma joue. Je déposai un baiser à l’intérieur de son poignet. À ce contact, elle s’apaisa, cessa de s’agiter. Haletante, elle appuya son front au mien.

— Tu avais disparu, souffla-t-elle, des sanglots dans la voix. J’ai cru que… j’ai cru que…

— Chut… Je suis là. Je serai toujours là…

J’étais le seul responsable et j’ignorai comment effacer cet effroi dans son regard qui me retournait les entrailles.

Je ne cessai pas de la toucher. Mes lèvres, mes mains la parcouraient avec avidité pour la graver en moi, pour m’imprégner d’elle.

— Épouse-moi, lui chuchotai-je soudain.

Elle se figea. Je m’écartai et enveloppai de nouveau son visage pour l’obliger à me regarder.

Le mariage ne nous protégerait pas de la violence et des injustices qui nous entouraient toujours, mais de cette manière, nous hurlerions au monde entier que désormais, nous étions ensemble pour tout affronter, que nous étions invincibles.

Elle cilla, troublée, puis hocha la tête.

— Oui.

Ce n’était qu’un murmure, mais il exprimait tant d’émotions que mon palpitant manqua un battement. Mes yeux se voilèrent de larmes.